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Actualité des maux croisés, pérégrinations ad libitum d'un psychiatre des sympathies, des perplexités paradoxales & des hégémonies culturelles...

Croiser l'actualité, les maux qui la parlent et les mots qui la hantent...

Lutte dans les "classes" et fonction du "diagnostic"... Michel Foucault, Mohamed Mehra, Jacques Audiard...

Publié le 8 Septembre 2013 par Serge Aron

Michel Foucault...

Michel Foucault...

S’il est un mot qui hante la modernité c’est bien celui de "classe"… Terme utilisé tout d’abord dans le domaine militaire (14e siècle), désignant les appelés, classe passe dans l’éducation (16e siècle), et ce bien avant l’ « l'instruction obligatoire laïque et gratuite » consécutive à la débâcle de 1870 !

Notons d’emblée cette proximité redoublée de l’école et de l’armée, suggérant que la classe sert à former de bons soldats… bien rangés dans leur rang… sachant lire et appliquer les consignes de leurs supérieurs

"Classe" renvoie en effet à "hiérarchie"… (l’"archaïque", encore!)... Le "classique" désignait le haut du panier, la "1ère classe", comme dans les trains ! Les "classes sociales" ne sont pas loin, au 2e siècle Aulu-Gelle recommandait de s’adresser aux « classici » et non aux « proletarii » pour connaître le bon usage en fait de langue. Le concept connaît très vite un succès et se retrouve consacré par son élévation au rang quasi mystique d’abstraction, de notion abstraite de « catégorie définie par un critère », quelle que soit la discipline considérée (fin 17e siècle) …

La taxinomie passe des plantes aux animaux, et l’exploration coloniale fournira foison d’organismes divers et variés qu’il s’agira de "nommer" et "classer"…

L’efficacité scientifique de cette approche systématique et rigoureuse fera le succès de la médecine et de sa démarche "diagnostique"…

Les "classifications" nourriront pourtant quelques controverses, à l’instar de la fameuse « conférence de Valladolid », et se verront régulièrement percutées par les principes « égalitaires » de la modernité en marche… (Marx n’est pas loin, et oui je parle toujours de la même chose, toujours et encore, le sérieux se répète…)

Comment concilier rigueur scientifique et valeurs éthiques ?...

Peut-on accepter le classement des humains sans scier la branche (elle aussi mystique ?) sur laquelle l’ « humanisme » est appuyé ?...

Le débat continue de hanter nombreuses disciplines, et en particulier la mienne : la psychiatrie… J’en avais fait l’objet d’un travail de thèse clôturant mes études médicales : « Approche Psychiatrique et Psychanalytique de la Fonction du Diagnostic », (voir fichier ci dessous)…

Nuage de mots à partir du texte intégral de "Approche Psychiatrique et Psychanalytique de la Fonction du Diagnostic"

Nuage de mots à partir du texte intégral de "Approche Psychiatrique et Psychanalytique de la Fonction du Diagnostic"

Les années passent … la question « hante » toujours : A quoi et à qui servent les diagnostics psychiatriques ?

« Archéologie des savoirs »... L’œuvre de Foucault est une « critique des normes et des mécanismes aveugles de pouvoir qui s'exercent au travers d'institutions en apparence neutres (la médecine, le marché, la psychiatrie, l'art...) » (cf. Wikipédia)… Le savoir est un pouvoir, « le pouvoir psychiatrique », titre du cours de Foucault au collège de France l’année 1973 – 1974, interroge la fonction des classifications psychiatriques. Comment la nomenclature range la société et "enferme" des discours dans des "classes" par le simple fait de les "nommer" et les "classer"… comme tels dirait Lacan… Il fut des époques où l’on internait pêle-mêle des « fou », des « protestants », des « invertis », des « hérétiques »…

L' "archaïque", le "savoir"? Michel Foucault, 1969: "L'archéologie du savoir"?...

Travaillant aujourd’hui en ITEP (« Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique »… tout un programme !…), je rencontre régulièrement des « incasables », des « inclassables », signalés par l’Éducation Nationale pour « troubles du comportement » parce qu’ils font symptôme dans la « classe ». On n’est même pas sûr qu’ils soient malades ou souffrent psychologiquement, généralement ils ne se plaignent de rien. Ils se sentent obligés de venir à l’ITEP comme ils étaient "obligés" d'aller à l'école, ITEP où ils sont « orientés », pour qu’à grands frais on les soigne d’un truc, et, comble du comble, pour qu’on les protège des méchantes « discriminations » dont ils seraient « victimes » à l’ « extérieur »…

"Etrange" !, On voudrait les "désorienter" on ne pourrait pas faire mieux !...

On les retrouve indifféremment dans les secteurs social (la « protection de l’enfance »), judiciaire, sanitaire (pédopsychiatrie), ou médico-social (le champ du « handicap »). Ils viennent principalement des banlieues sensibles et appartiennent plutôt aux "classes déclassées"… Le petit Mohamed Mehra avait du faire le tour d'un bon nombre d'entre-elles, tout comme le "héro" du film "Un Prophète" de Jacques Audiard...

Jacques Audiard: "Un Prophète" traverse les "classes"...

Les inclassables sont-ils mal-élevés, malades, délinquants, handicapés ou maltraités ?

Où "ranger" ceux qui "dérangent" les "classes" ?

Faut-il les "classer" ?

Qu’est-ce qui "trouble" ?

A quoi les "banlieues" sont-elles "sensibles"?

Quels fantômes "archaïques" "hantent" la modernité tardive?

(et voilà le "ban", l’ "archaïque" et l’ "hantologie" qui font retour…)

@+ serge.aron.over-blog.com

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